Les modifications législatives sur l'ordonnance de protection : véritables avancées ou fausses bonnes idées ?
Cette année 2024, le législateur a, par deux lois- le 18 mars 2024[1] et le 13 juin 2024[2]- renforcé la protection contre les violences intrafamiliales. Plus rapide, plus protectrice, tels sont les objectifs. Plus efficace ? La question est ouverte !
On rappellera que seules les violences au sein du couple sont dans le spectre des lois de 2024. Le couple -ensemble ou séparé- de concubins, de partenaires de PACS, le couple marié ou divorcé. On peut regretter que les violences exercées à l’encontre d’un ou plusieurs enfants ne peuvent justifier à elles seules la délivrance d’une ordonnance de protection par le Juge aux affaires familiales.
Néanmoins, les évolutions de l’outil « ordonnance de protection » sont allés vers une meilleure protection de l’enfant du couple. Dès la naissance de cette ordonnance en 2010, la loi permettait pour la première fois de prendre en considération les violences d’un parent sur l’autre pour fixer les modalités d’exercice d’autorité parentale sur les enfants mineurs. Cette petite révolution (le juge était invité à ne plus déconnecter le conjoint violent du père) a été relativement ignorée par les Juges aux Affaires Familiales.
Le 28 décembre 2019[3] , suite au grenelle sur les violences conjugales, l’article 515-11 du Code civil a subi une importante modification : désormais, le juge doit motiver spécialement sa décision de permettre un droit de visite et/ou d’hébergement autre que dans un espace rencontre protégé dès lors qu’il y a interdiction d’entrer en contact (c’est-à-dire de façon quasi systématique). Le paradigme change : l’interdiction d’un droit de visite non protégé pour le parent violent envers l’autre parent devient la règle et non l’exception.
Deuxième révolution qui modifie la nature même de l’ordonnance de protection : elle ne protège plus seulement le parent victime en permettant une séparation du couple et une impossibilité pour l’auteur d’approcher celui qui fait état de violences, elle protège également l’enfant placé au cœur de cette violence, même s’il n’en est pas directement l’objet. Le législateur a ainsi intégré que la seule séparation ne peut mettre fin aux violences en empêchant toute réitération lors des passages de bras de l’enfant ou la prise de décision dans le cadre de l’exercice de l’autorité parentale conjointe. Par ailleurs, et c’est à saluer, cette nouvelle disposition consacre ce que de nombreux praticiens-avocats, juges, psychologues- ont constaté : une violence faite à l’un des parents est une violence faite aux enfants. Non, un père (ou une mère) violent à l’encontre de sa conjointe, n’est pas un bon père !
La nécessité de sortir l’enfant du climat de violences conjugales a guidé le législateur. En ce sens, l’article 378 du Code civil a été modifié pour que le retrait total ou partiel de l’autorité parentale du parent auteur, coauteur ou complice d'un crime ou d'une agression sexuelle incestueuse commis sur la personne de son enfant ou d'un crime commis sur la personne de l'autre parent soit ordonné automatiquement par le juge. Seule une décision motivée peut l’écarter dorénavant.
La Cour de cassation a récemment statué dans le même sens. Un arrêt rendu le 23 mai 2024[4] reconnait aux enfants un réel statut de co-victimes des violences exercées au sein du couple en jugeant qu’il n’est pas nécessaire de démontrer l’existence d’un danger encouru par l’enfant pour interdire à l’auteur des violences de recevoir ou de rencontrer l’enfant commun du couple, dès lors qu’il existe des violences et un danger actuel pour le parent victime.
Parallèlement, le législateur s’est employé à faciliter la délivrance de l’ordonnance de protection et à en étendre la durée.
Dorénavant, selon l’article 515-11 du Code civil tel que modifié par la loi n°2024-536 du 13 juin 2024, les mesures pouvant être prises aux termes d’une ordonnance de protection (citées à l’article 515-11) peuvent l’être pour une durée de douze mois à compter de la notification de l’ordonnance (contre six mois jusqu’alors). Il semblerait que la législateur ait « oublié » de modifier les dispositions du Code de procédure civile : en son article 1136-7, les mesures de l’ordonnance de protection prennent toujours fin « à l’issue d’un délai de six mois ».
De manière inchangée, cette ordonnance de protection peut toujours être prolongée au-delà si, durant le délai d’un an, une demande en divorce ou en séparation de corps a été déposée ou si le juge aux affaires familiales a été saisi d'une demande relative à l'exercice de l'autorité parentale.
Parallèlement, le législateur a créé une nouvelle ordonnance de protection pouvant être délivrée sous vingt-quatre heures. Il s’agit de l’ordonnance provisoire de protection immédiate, prévue à l’article 515-13 du Code civil.
Cette nouvelle ordonnance n'est pas autonome. Le demandeur doit saisir le Juge aux Affaires Familiales d’une demande d’ordonnance de protection “classique” (art. 515-9, 515-10 et 515-11 du Code civil) pour que le Ministère public, seul à détenir la qualité à agir, puisse demander une ordonnance provisoire de protection immédiate, avec l’accord de la personne en danger.
Cette procédure n’est pas contradictoire, ce qui est de nature à en affaiblir la portée. Il est à craindre qu’il ne s’agisse que d’une mesure cosmétique visant à pallier la carence du parquet ou a minima sa lenteur à prendre les mesures d’éloignement (contrôle judiciaire) en cas de dépôt de plainte.
Pour que le juge prononce une telle ordonnance, il doit estimer qu’il existe “des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violences alléguées”, comme pour l’ordonnance de protection “classique”. La seconde condition est modifiée : “un danger grave et immédiat auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés”, contrairement au simple “danger” devant être démontré pour qu’une ordonnance de protection “classique” soit délivrée. Une plainte pénale préalable n’est pas nécessaire, à l’instar du régime de l’ordonnance de protection classique.
Les mesures pouvant être prononcées dans un délai de vingt-quatre heures diffèrent sensiblement de celles pouvant l’être dans le cadre d’une ordonnance de protection. Le juge peut prononcer une interdiction de contact pour l’auteur des violences à l’égard de la victime, ainsi qu’une interdiction de se rendre en certains lieux où cette dernière se rend habituellement. Si on peut supposer qu’un de ces lieux puisse être le domicile familial, le juge ne peut en revanche pas statuer sur l’attribution de la jouissance de ce dernier à la victime, comme il le peut en application de l’article 515-11 3° et 4° aux termes d’une ordonnance de protection. Par ailleurs, dans le cadre de l’ordonnance provisoire de protection immédiate, la victime peut également se voir attribuer un téléphone grave danger.
Les modalités d’exercice de l’autorité parentale pouvant être prononcées dans le cadre de l’ordonnance provisoire sont identiques à celles pouvant l’être dans le cadre de l’ordonnance de protection “classique”.
Ces mesures s’appliquent jusqu’au prononcé d’une ordonnance de protection ou tout incident mettant fin à l’instance initiée.
En conséquence et concrètement, le parent celui qui se dit victime peut obtenir, dans un délai de vingt-quatre heure ou de six jours, l’éloignement du parent violent et son expulsion du logement familial, la résidence principale de l’enfant, l’exercice exclusif de l’autorité parentale et un droit de visite en centre médiatisé pour l’auteur des violences. Ces mesures s’appliquent pendant un délai d’un an à défaut de levée de l’ordonnance. Elles peuvent être prolongées si le juge est saisi d’une demande en divorce ou pour statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale sur l’enfant, jusqu’à l’issue de cette procédure.
Si l’ordonnance de protection est susceptible d’appel, l’absence de modification du Code de procédure civile par les lois du 18 mars et du 13 juin dernier, ne permettent pas de connaitre l’éventuel recours possible contre une ordonnance provisoire de protection immédiate. Cette ordonnance n’ayant pas vocation à s’appliquer au-delà de 5 jours, la question a néanmoins peu d’intérêt en pratique.
L’avocat, associé au Parquet en amont de ses démarches pour obtenir une ordonnance provisoire de protection immédiate, devra notifier cette dernière, à l’auteur des violences en sus de l’autorisation à assigner en vue de la délivrance d’une ordonnance de protection.
A l’occasion de la loi du 13 juin 2024, le législateur a aggravé les peines applicables en cas de non-respect d'une des ordonnances (de protection immédiate ou de protection “classique”).
Le nouveau dispositif -l’ordonnance de protection provisoire- est de nature à accentuer la tendance des parquets à se décharger sur les Juges aux Affaires Familiales. En pratique, on observe ces dernières années, une invitation croissante des policiers (sur ordre du Parquet) auprès des victimes, à saisir la juridiction civile Ainsi, le législateur a placé entre les mains du Juge aux affaires familiales le moyen d’éloigner un auteur de violences intrafamiliales de l’ensemble des membres de sa famille, dans un délai particulièrement restreint et pour une durée minimum d’un an.
Il semble que l’ordonnance de protection soit progressivement venue pallier l’absence de mesures prises par le parquet dans le cadre d’une enquête pénale, notamment l’absence de contrôle judiciaire ou de renvoi rapide devant le tribunal correctionnel.
Si l’on peut saluer l’amélioration de la protection du conjoint victime et des enfants, il est regrettable que les Juges aux Affaires Familiales viennent suppléer les carences de l’enquête préliminaire et du parquet en cas de plainte pénale. On aurait souhaité que le législateur invite enfin le parquet à prendre une décision dans un délai raisonnable et impératif en cas de plainte pour violences conjugales.
[1] Loi n°2024-233 du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales, JO 19 mars.
[2] Loi n°2024-536 du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate
[3] Loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille
[4] Cour de cassation, Chambre civile 1, 23 mai 2024, n°22-22-600
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